lundi 16 juin 2008

Cap ou péninsule ?

Eh bien, oui, c'est mon vice.
Déplaire est mon plaisir.
J'aime qu'on me haïsse

Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,

Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc

Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,

Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?

Non, merci.

Dédier, comme tous ils le font, des vers aux financiers ?

Se changer en bouffon dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre

Naître un sourire qui ne soit pas sinistre?

Non, merci.

Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?

Avoir un ventre usé par la marche ?

Une peau qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?

Exécuter des tours de souplesse dorsale ?

Non, merci.(....)

Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?

Etre terrorisé par de vagues gazettes,

Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je soit dans les papiers du Mercure François !"..

Non, merci.

Calculer, avoir peur, être blême,

Préfèrer faire une visite qu'un poème,

Rédiger des placets, se faire présenter ?

Non merci, non merci, non merci.

Mais....

Chanter, rêver, rire, être seul, être libre, avoir l'oeil qui regarde bien, la voix qui vibre. Mettre quand il vous plait, son feutre de travers, pour un oui, pour un non, se battre, ou faire un vers. Travailler sans souci de gloire ou de fortune, à tel voyage, auquel on pense, dans la lune.N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît, et modeste, d'ailleurs, se dire : mon petit, sois satisfait des fleurs, des fruits, mêmes des feuilles, si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !

Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, vis-à-vis de soi-même en garder le mérite? Bref, dédaignant d'être le lierre parasite, lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tillleul, ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !

C. de Bergerac (Edmond Rostand)

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